Loin d’enquêter sur un très vaste corpus, je propose ici une simple étude de cas. Je vais analyser la réception d’un roman certes unique, Les Secrets de M. Synthèse par Louis Boussenard, mais un roman dont le foisonnement et la complexité sont déjà apparus comme particulièrement dignes d’intérêt . Il raconte l’histoire d’un riche savant, M. Synthèse, qui, au début des années 1880, veut reproduire en accéléré les étapes de l’évolution ayant un jour conduit à l’apparition de l’Homme sur la Terre. Le savant crée les conditions nécessaires à son expérience (son « Grand-Œuvre ») dans un laboratoire situé dans la mer de Corail. Mais la poursuite de ce but scientifique est contrariée par les mises en garde du pundit Krishna, un « initié » qui semble doué d’ubiquité et jouit de la complète maîtrise de son corps grâce à la seule force de son esprit ; par la vénalité et l’habileté technique du naturaliste Roger-Adams qui fausse les résultats de l’expérience ; par le dessein secret de Synthèse lui-même qui est de procurer un époux idéal à sa petite-fille ; et enfin, par le déchaînement des éléments naturels qui semblent se liguer contre le savant. Le roman se clôt avec la destruction de l’îlot par une éruption volcanique alors qu’apparaît un enfant noir que Synthèse pense être le produit de son expérience. En étudiant la réception des Secrets de M. Synthèse, je souhaite mettre en valeur la place particulière qu’occupe ce roman dans la production de son auteur, mais aussi souligner son positionnement original dans le processus menant à la constitution du genre de l’anticipation. Cette étude de réception vise d’abord à améliorer la connaissance du roman lui-même en mettant au jour comment il a été édité, promu, lu et compris. Elle permettra également de mieux situer l’auteur, Louis Boussenard, dans le paysage éditorial du temps. Elle ambitionne enfin de produire une analyse « microgénérique » utile à la compréhension de l’émergence contemporaine de l’anticipation.